Une toute ch'tite nouvelle

Puisqu'on est dans la publication de fond de dossier d'ordi, allons y !

Je suis témoin. J’ai vu. J’ai tout regardé. Je l’ai vu, elle. Je l’ai cortégée jusqu’au bout. Jusqu’à la fin.

Je suis un miroir. Je ne me vante point de ma taille, mais je suis parée de très belles armatures d’un noir opaque qui ondulent dans les airs telles les volutes d’un café brûlant. J’admets sur moi-même l’image des autres. J’ai offert comme reflet à ma seule et unique maîtresse celui de son visage, de sa nuque si fine, de ses épaules et de la naissance de sa poitrine. Je n’ai vécu que pour elle, et jamais je ne pourrais offrir le même éclat à une autre, aussi belle soit elle. Mon histoire, et donc celle de la femme qui m’a possédé est tragique. Je ne peux plus me résoudre à la garder enfouie dans les méandres cristallines de ma mémoire.

Alors que je venais tout juste de naître, je me retrouvai dans un endroit étroit, fin et sombre à la fois. Je sentais tout mon corps tanguer durant un bon moment, puis je restai quelques jours allongé, dans un endroit sec où, de temps en temps, un rayon de soleil venait caresser ma robe de papier. Un soir, je suppose que le soleil était couché puisque lorsqu’on me sortit de mon antre il faisait plus noir qu’à l’accoutumé, je me sentis tâté, retourné dans moult sens. Une main chétive mais néanmoins habile déchira mon habit et je me suis retrouvé à la lumière d’un lustre en cristal, éclairé pour la première et dernière fois de cette si belle façon. On me remit droit, et c’est là que s’est produit ma première rencontre avec la femme que j’allais adorer toute ma vie. Elle me regardait fixement d’abord, détaillant unes à unes mes branchettes fines, puis s’observa attentivement. Je fis de mon mieux pour lui dessiner un reflet digne de sa personne. Elle ne devait pas avoir plus de huit ou neuf ans. Son visage était allongé, ses traits peints avec une finesse rare. Elle avait des yeux d’un bleu profond, rehaussé de paupières légères en forme d’amande. Ses cils semblaient déjà interminables, et ses sourcils effilés lui offraient cette grâce qui régnait sur sa figure pâle et frêle. Un air malicieux s’échappait de son nez légèrement retroussé, et sa bouche esquissée d’une manière exquise appelait déjà à de doux baisers. Ses cheveux, d’un noir délicat étaient à eux seul le bel écrin d’une beauté perlée. J’appris par des voix qui resteraient à jamais sans visage, puisque je ne voyais qu’elle, qu’elle se prénommait Lou. A l’instant précis où elle sourit, j’ai su que toute mon existence lui appartiendrait, quoique Lou puisse devenir. Elle me choisit une place dans sa chambre, et me posa, avec cette délicatesse qu’elle utilisa toujours pour me prendre. J’avais à présent une demeure, une personne à adorer.

Les premières années furent un plaisir et une joie continuels. Lou n’était que sourire. Scintillante, elle ne se plaçait devant moi que pour que je lui offre un simple reflet, le sien, sans artifice aucun. C’était la vérité que je me devais de renvoyer. Et quelle charmante vérité ! Je n’avais pas à mentir pour qu’elle fût satisfaite de son image qui me collait au corps.
Lorsque Lou devint une jeune fille, le plaisir fut également intense, mais tout à fait différent. J’eus à découvrir ses salières délicates qu’elle s’amusait à dévoiler lorsque nous étions seuls. Quelle beauté ! Refléter sa gorge était une sorte de jouissance sans fin, tant il y avait de splendeurs à dévoiler. Son grain de peau parfait, sa fine peau blanche, sa poitrine menue et féminine, et sa nuque, oh sa nuque si délicate étaient pour moi autant de magnificences qui m’étaient réservées. La première fois qu’elle usa de maquillage, je sentis une rage mêlée à de la déception m’envahir. Pourquoi mon trésor employait ces moyens là pour tenter de se rendre plus belle ? Il n’y avait rien, absolument rien à retoucher. Je me suis senti comme rabaissé. Le reflet que je lui offrais n’était-il pas assez distingué ? Je ne compris que bien plus tard qu’elle usait de cela pour un autre reflet que je n’étais pas habilité à lui donner. Les miroirs que sont les hommes offrent des reflets moins purs que les miens, c’est pourquoi les subterfuges sont de mises. Lou avait besoin de retrouver l’image que je lui renvoyais, splendide, dans les yeux des hommes. Et pour cela elle se fardait, se crayonnait les yeux. Pour moi, elle s’abîmait.
Jeunesse passa. Une jeune femme pris place devant moi. Elle avait gardé le visage que j’avais découvert la première fois. Cependant il avait cessé d’être une ébauche, aussi brillante soit elle, et était devenue une œuvre. Même si elle continuait à se travestir, elle redevenait chaque soir l’œuvre originale que j’aimais tant. Et elle souriait à chaque fois qu’elle retrouvait son état initial. Lorsque des fossettes apparaissaient sur ses joues, je prenais cela pour un remerciement. C’était on ne peut plus gratifiant de la voir sourire. C’était synonyme pour moi d’un reflet qui lui plaisait et que j’avais joie de créer.
Je déménageai. Elle me trouva une autre place, dans un endroit plus spacieux. Nous avions changé de bâtisse. L’odeur n’était plus la même. Ici, on sentait le tabac froid, la chaleur qui se dégage des corps et des effluves de différents parfums. Nous n’étions plus seuls. Ce fut dur à accepter. Mais je n’avais pas le choix. Je découvris un homme, qui se plaçait de temps à autre devant moi. Je m’efforçais de lui rendre son image, mais tout mon être me réclamait d’être hostile et menteur envers lui. En vérité cet homme n’était pas beau. Mais il avait ce charme qui le rendait intéressant. Lorsqu’on croisait ses yeux bruns ou ses lèvres fines, on ne pouvait se détacher d’eux. Il m’avait volé en quelque sorte Lou, il était son nouveau miroir, et je voulais lui être désagréable. Je ne lui devins pas, pour l’amour de Lou. Je voulais qu’elle soit fière de moi. Surpasser cette jalousie m’était intolérable au début, puis supportable, pour enfin devenir un lot quotidien. Cela s’apaisa avec le temps.

Alors que je croyais Lou à l’apogée de sa beauté, je la découvris aussi belle qu’une fleur fraîchement éclose lorsqu’elle portait la vie dans son ventre. Elle me demandait parfois de lui renvoyer cette image de ventre rond, tiré, inquiétant et attirant. A cette époque elle resplendissait. Elle s’asseyait devant moi plus souvent que d’habitude, pour le plaisir de se contempler. Ce n’était pas du narcissisme, c’était une façon de se montrer à moi comme jamais je ne la verrai plus. Et ça me grisait. Je n’en pouvais plus de bonheur. Lorsque nous devînmes quatre et non plus trois dans la maison, le portrait de Lou changea de façon brutale. Elle n’était plus aussi chatoyante. Elle avait beaucoup perdu de sa gaieté. Même si sa beauté était indéniable, elle semblait éteinte, asphyxiée. Malgré mes efforts, je n’arrivais pas à lui renvoyez une image vive et étincelante. Je ne voulais pas non plus lui mentir. La trahir me serait beaucoup trop douloureux. Durant quelques mois elle se présentait à moi comme une rose séchée, terne. C’était comme si une étape de sa vie était passée. Une expérience marquante la faisait faner. Je m’enfonçais alors dans l’abîme de la tristesse. Un jour je me mis à couler.
Un soir, alors que le matin je lui avais renvoyé une belle image de femme belle, naturelle et même souriante, elle se présenta à moi en pleurs. L’eau salée roulait sur sa peau adorée, sur son visage chéri et s’échouait plus loin, mouillant ses mains et son menton. Lou pleurait. Pour la première fois de ma vie, je la vis dans un état qui me bouleversa plus que si je mourrais moi-même. Je ne comprenais pas comment ses yeux que j’avais toujours vu comme pénétrants, et inattaquables pouvait verser autant de larmes. Je m’en voulus de ne pas parvenir à lui cacher la misérable image que je recevais d’elle en pleine figure, mais je ne pouvais pas en faire autrement. Je me mis, en sanglotant également, à lui faire parvenir l’image triste d’une femme larmoyante. Alors qu’elle tentait sans succès de sécher son malheur, l’homme arriva. Pourquoi une haine intense s’évapora de moi-même, s’accrochant alors au reflet de Lou et marquant ses yeux bleus ? Parce que je le haïssais à l’instant même où il apparu. Si je l’avais toléré, c’était pour Lou, et ce soir j’avais compris que par sa faute, ma maîtresse s’éparpillait en larmes. Elle le regarda à travers moi avec fureur. Il s’approcha d’elle, la saisit par derrière, puis d’un geste net et affolant, il lui trancha la gorge. Le sang pourpre de Lou jaillit, tâcha son corsage, et vint se fixer à jamais sur mon corps qui offrait le spectacle désarmant de la femme que j’aimais en train de mourir. Elle tomba aux pieds de son miroir glacial que fut cet homme, et elle s’éteignit à jamais.
L’homme, qui vit mon corps souillé par son crime me prit d’une main et m’emporta loin du cadavre de ma bien-aimée. Je me retrouvai dans une pièce sombre, qui sentait le renfermé et la sciure de bois, au milieu de vieux meubles et de vieilles nappes fleuries.
Je ne revis plus jamais Lou. La poussière s’accumula sur moi pendant un temps que je ne pus définir. Comme si la poussière pouvait effacer le sang qui me tâchait et qui me rappelait, chaque fois que je le voyais, le regard agonisant de ma chère et tendre Lou. Je n’étais plus qu’un matériau tâché, vide de sens, puisqu’elle n’était plus.

Alors que je me croyais oublié à jamais, quelqu’un entra dans mon antre funeste. On s’approcha, et d’un souffle quelqu’un tenta d’enlever la poussière qui me tenait lieu de voile. Ce que je vis me terrifia. Un visage me demandait son reflet. Il était presque identique à celui de Lou, mais il possédait les même yeux noirs et froids que l’assassin. Je compris lorsque cette jeune fillette me déposa dans une chambre d’enfant, déduction que je fis à la vue du papier peint violet et du lit à baldaquin, qu’elle était l’enfant que Lou portait en elle lorsque elle se pavanait devant moi lorsqu’elle était plus belle que toutes. Les yeux qu’elle avait hérité de son père me glaçaient. Elle ne cessait de me regarder dans l’attente d’une image, mais je ne parvenait qu’à rendre une pâle reflet incomplet, tâché de sang et poussièreux.
C’est à cette jeune fillette que j’ai raconté mon histoire pour la première fois, à l’aide de reflets. Mais c’est comme si cette fois là ne comptait pas. Car j’avais devant moi Lou en miniature, avec juste d’autres yeux. Et ce détail me fit l’effet de raconter le crime directement à la victime et à l’assassin. Elle comprit dans le détail l’horreur qui avait succédé au bonheur que j’avais vécu avec Lou. Et lorsqu’elle eut saisi dans son intégralité cette sombre histoire, je tentai de lui offrir son reflet comme je l’avais fait maintes fois avec Lou. J’échouai. Jamais plus je ne pourrais reflèter qui que ce soit, en dépit de l’expiation, de la confession du meurtre qui s’était déroulé devant mon corps impuissant.

J’avais vu. J’avais tout regardé. Je l’avais vu, elle. Je l’avais cortégée jusqu’au bout. Jusqu’à la fin. Et je ne pouvais plus rien. Plus jamais.

merci Marine d'etre passée nous laisser ca... je la lirais quand j'aurais un peu plus de temps...

J'ai lu.
vu l'engouement des nouvelles et je trouve que c'est une bonne chose, sachez que là ou je fais mon stage il y a un concours de nouvelles qui est organisé avec des conditions de participation très simple.
il y a des prix à gagner, le premier est à 700 euros...
Si ça vous intéresse, je vous filerai les papiers d'inscriptions.

Eh bien oui oui, pourquoi pas ! Ca peut être bon pour les vacances qui arrivent ... !

merci marine, je l'ai lu et j'ai beaucoup aimé. t'as écrit ça quand?

Aurore a écrit:J'ai lu.
vu l'engouement des nouvelles et je trouve que c'est une bonne chose, sachez que là ou je fais mon stage il y a un concours de nouvelles qui est organisé avec des conditions de participation très simple.
il y a des prix à gagner, le premier est à 700 euros...
Si ça vous intéresse, je vous filerai les papiers d'inscriptions.

Mouais fais voir...

Et puis j'ai quand même lu la nouvelle, j'ai eu un peur de me retrouver dans le clicheteux. Les impressions ça tient à des détails, robe en papier ça fait un peu cabrel et le temps qui passe passe un peu lentement, un joli décor mais on a hâte que ça commence. J'aime bien la fin, et puis la transition du candide au sordide, mais je trouve ça trop linéaire, j'aurais bien aimé la petite fille est un plus grand rôle genre dès le début. Voilà donc en résumé j'ai lu jusqu'au bout et j'ai été surpris donc j'aime bien!

alors vous avez jusqu'au 8 septembre pour envoyer vos oeuvres :

voici les conditions d'adhésion et formulaires d'inscription :

http://www.bonnesnouvelles.net/vedrarias2007.htm

Bonne chance à vous, graines de nouvellistes !!!!

Merci mam'zelle

On va envoyer tout ça, on ne sait jamais