Une ch'tite nouvelle

Voilà une petite nouvelle sans prétention, écrite l'an dernier, qui s'ennuyait sans personne pour la lire au fin fond de mon antique macintosh...

Elle se lit lentement (tempo 40-60 pour les musiciens), quand on a le temps et envie de se marrer...

Je la mets en petits bouts pour que ça rentre...

Ou ca la petite nouvelle...????

Le métier de veilleur de nuit n’offre que très peu d’attraits. Pour tenter d’en créer quelques-uns, Benoit sifflote. Il se dit qu’au moins, dans ce métier, on peut se permettre de siffloter. Ce n’est pas rien. Des présidents de multinationales, par peur du discrédit, doivent retenir des heures durant un malheureux sifflotement de bonheur.
Jimmy est aux aguets. Les aguets passent par son nez, ses oreilles et ses yeux.
Il flotte ce soir-là une odeur de nuit de printemps, le type d’odeur qui entre en trombe par les narines, s’étale dans les poumons jusqu’au bas-ventre et provoque de puissants picotements des cervicales aux doigts de pieds. La nationale voisine propose de temps en temps un lointain vrombissement aux oreilles de Jimmy. Il faut dire que Jimmy est davantage préoccupé par les discrets mouvements des rongeurs et oiseaux nocturnes qui peuplent la dizaine d’arbres et les cent vingt mètres carrés de la cour centrale. Cette cour centrale est encerclée d’une coulée de macadam luisant des reflets de la lune intérimaire. Elle dessert les quatre bâtiments de la pépinière entreprise. La lumière orangée des lampadaires dévoile à l’Est les bâtiments A et B, au Sud le bâtiment C et à l’Ouest le bâtiment 4. Ce bâtiment 4 mesure cinq étages de haut pour quarante mètres de large. Une large bande verticale de baie vitrée partage le bâtiment en deux rectangles de vingt-quatre fenêtres. Quand le jour pénètre la baie vitrée, on peut y voir le grand escalier qui dessert les différents couloirs du bâtiment.
Benoit fume une cigarette.
Il a terminé sa première ronde.
Assis sur le banc devant le bâtiment B, il observe la froide symétrie du bâtiment 4. La fumée goudronnée de sa cigarette remplace la douceur de l’air du soir, il est heureux.
Jimmy trottitourne devant lui, humant les résidus d’odeur des cadres ayant arpenté la desserte de macadam pendant la journée.
Benoit est content d’avoir un travail aussi passif.
Il est d’un naturel plus contemplatif qu’actif.
La nuit aurait pu être aussi calme que les deux cent dix dernières qu’il avait passé dans la pépinière entreprise des sycomores.
Mais non, elle ne le fut pas.
Benoit aurait pu entamer la seconde des cinq rondes qu’il effectuait chaque nuit.
Oui, il aurait pu.
Mais non.
Alors qu’il tire une des dernières bouffées de sa cigarette, les lumières de la baie vitrée du bâtiment s’allument toutes, à une demi-seconde d’intervalle.
La lumière du rez-de-chaussée s’allume. Jimmy lève la tête. Benoît retient la fumée qui allait sortir de sa bouche.

d'accord je me tais.

La lumière du premier étage. Jimmy a les muscles bandés. Benoit crache la fumée qui allait sortir de sa bouche.
La lumière du second. Jimmy bondit vers le bâtiment D. Benoit se lève.
Le troisième. Jimmy vole au-dessus d’un buisson d’épineux de la cour centrale et Benoit jette sa cigarette.
Quatrième. Jimmy et Benoit courrent et un magnifique feu d’artifice miniature salue la rencontre de la cigarette et du macadam.
Cinquième. Jimmy aboie et Benoit contourne le buisson d’épineux.
L’immeuble compte cinq étages. Quand la lumière du huitième s’allume, Jimmy fait d’incroyables bonds devant la double porte du bâtiment 4.
Quand la lumière du quatorzième s’allume, Benoit enfonce son passe dans la serrure de la même double porte. A peine a-t-il entrouvert la porte que son chien s'y engouffre. Quelques secondes plus tard, un jappoiement plaintif fait écho à la disparition visuelle de Jimmy. Se quasi-téléportant au deuxième étage, d’où semblait provenir le gémoiement, Benoit s’immobilise dans une posture d’écoute sportive. Il a les jambes écartées, à demi pliées, le tronc ramassé, les bras tendus vers l’extérieur, le cou étiré, le nez au vent. Dos à l’escalier, il fait face au couloir principal, et deux couloirs plus humbles prolongent ses doigts. Ses yeux balaient les trois couloirs avec la puissance d’un phare breton par nuit sans lune. Un insecte ne pourrait lui échapper. Un moustique discret en costume gris serait aussitôt repéré.
Mais il n’y a pas un chat. Pas même une souris. Pas même un bout de fromage.
- Gandon Benoit ?
Benoit se retourne à la vitesse d’une veste de député.
Il baisse les yeux sur une créature verte. De longues oreilles quittent sa large face. De grands yeux font contrepoint à l’absence de nez. Son menton fuit sa bouche pincée.
Il est haut comme neuf pommes.
- Qu’est-ce que vous faites là ? hurle calmement Benoit.
- Je fais mon travail que diable ! repond le nain du tac au tact.
Jean-Charles le nain malin laisse à peine le temps à Benoit de s’apercevoir qu’il n’a rien à répliquer pour reprendre :
- Gandon Benoit, les autorités compétentes ont déclaré que votre taux d’intérêt était de quatre-vingt-dix pourcent.
Jean-Charles le nain malin attend que Benoit n’ait pas compris pour ajouter, une pointe d’agacement dans la voix :
- Gandon Benoit, veuillez me suivre, que diable.
Et avec un charisme de personne de petite taille, Jean-Charles le nain malin se retourne et commence à grimper les escaliers, balançant son arrière-train de façon à bien faire comprendre à Benoit qu'il a un pantalon bariolé.
A la huitième marche, l'organe de rage enfantine de Benoit se réveille et il hurle.

- Il est où mon chien, espèce de putain de nain pourri à la crème de marron moisi en fut de chène d'enculé de sa race qui transpire la merde par sa bouche qui pue, connard de mes couilles dans le pâté ?
- En lieu sûr, que diable, monsieur Gandon.
A ce moment là du récit, force est de préciser que Benoit fait huit heures d'arts martiaux par semaine depuis qu'il a huit ans, et il en a le triple. Que ses professeurs viennent de tous les pays d'Asie et même quelquefois de région parisienne. Il peut donc aisément tuer un rhinocéros.
Benoit se jette sur le nain pour lui briser bras et jambes, mais à mi-course, alors qu'il est encore en l'air, le nain l'arrête, doigt tendu vers son nombril.
Immobilisé à quinze centimètres du sol, il entend le nain lui conseiller d'une voix de miel de romarin :
- Votre chien est en lieu sûr, monsieur Gandon. Maintenant, veuillez me suivre, monsieur Toutouyoutou vous attend, que diable.
D'une pichenette, Jean-Charles le nain malin laisse Benoit retomber sur ses chaussures de marque et recommence son ascension comme si il venait de se passer quelque chose de magique. Benoit lui emboite le pas, décidé à s'inscrire à un club de sorcellerie à la rentrée prochaine.
Une porte massive fait face aux deux protagonistes. Une porte qui oscille entre bienveillance et agressivité, au gré de l'éclairage et des yeux qui l'observent. D'un agréable chuintement, la porte fait signe à Benoit d'entrer, afin de s'entretenir avec Jean Charles le nain malin de la future révolte du carrelage, puis se referme.
Un bureau et un crâne lui font face. Tous deux sont de marbre. Monsieur Toutouyoutou lève la tête.
- Soyez le bienvenu, monsieur Gandon.
Benoit répond sans remuer un muscle. Monsieur Toutouyoutou quitte son fauteuil afin de montrer qu'il est grand. D'une maigreur impressionnante, son visage de vieillard et son costume gris poussière s'allongent vers l'obscurité du plafond. Sa chair est dans un des tiroirs du bureau, au chaud.
- Vous êtes ici dans une pépinière entreprise. C'est une entreprise qui se charge de regrouper d'autres entreprises. Elle leur fournit des locaux, et d'autres services qui, partagées entre elles, permettent de réduire les frais. C'est une activité que j'exerce depuis maintenant plusieurs siècles et je m'y plais. Malheureusement, Monsieur Gandon, mon métier n'intéresse personne. Je suis extrêmement seul et mes amis n'ont cure de ma passion. Les passants ne viennent jamais visiter ma pépinière.
Entre beaucoup de sentiments, tel l'incompréhension, la méfiance, le mais-qu'est-ce-que-je-fous-là, un microscopique sentiment de pitié commence à poindre dans l'esprit de Benoit et il tente un :
- C'est malheureux.
- Je ne vous le fais pas dire. Tout ce qui touche à l'entreprise repousse la curiosité de nos congénères.

L'homme, d'un large mouvement de sa flexible colonne vertébrale, colle son visage à celui de Benoit. Leurs yeux se touchent.
- Monsieur Gandon, ils n'en ont rien à foutre.
Une larme quitte l'oeil de Monsieur Toutouyoutou pour humecter celui de Benoit. Puis, dans un mélancolique cliquetis, la colonne vertébrale du pépiniériste reprend sa position initiale, et son regard part faire une croisière dans l'hyperespace.
Les sentiments de Benoit ne savent pas trop quoi faire. Ils décident de faire une réunion et d'élire un président. La pitié se présente, arguant que ce pauvre bureaucrate est bien seul et qu'il faut l'aider. La méfiance, au bout de la table, présente aussi sa candidature, rappelant aux sentiments présents que l'on ne sait toujours pas où est Jimmy, et qu'il est peut-être en train de se faire torturer. L'incompréhension hurle que si elle n'est pas élue, on entendra parler d'elle et qu'elle a des relations à très haut niveau, que si ça continue elle en réferrera à la raison et à la santé mentale, et que de toutes façons vous êtes des sentiments mineurs, que vous ne servez à rien, que vous pouvez élire un président mais je ferai un coup d'état et rira bien qui rira le dernier.
Le mais-qu'est-ce-que-je-fous-là se le demande.
La méfiance est élue à bulletins secrets.
- Et en quoi je peux vous aider ?
L'esprit de Monsieur Toutouyoutou regagne son corps en un aterrissage violent et incontrôlé entraînant quelques bégaiements.
- Heu, voyez-vous, heu, monsieur Gandon, heu, ha oui, voyez-vous monsieur Gandon nous avons besoin de vous. Vous possédez un don unique. Quelque chose qui fait de vous notre sauveur, celui qui, par son aide précieuse pourra venir à la rescousse de la pépinière et de son président, celui qui changera pour toujours le rayonnement de ces quatre bâtiments.
Le visage d'ancêtre de Monsieur Toutouyoutou est juvénilisé, en transe figurée. L'incompréhension en profite pour faire son coup d'état. Benoit, interdit, attend la suite.
- Oui, monsieur Gandon, oui, vous, parce que vous possédez la qualité la plus précieuse qui soit, le don le plus essentiel, la manière de vivre la plus propice à la découverte, à l'enrichissement spirituel et à l'échange entre les hommes, monsieur Gandon, vous êtes curieux.
- Ha bon ?
- Monsieur Gandon, nos chiffres sont formels, votre taux d'intérêts est de quatre vingt dix pourcent.
Les sentiments habituels de Benoit se tournent vers le fond de la salle, où la curiosité balaie l'ennui.
La perspicacité se lève et hurle que oui, Monsieur Touyoutou a raison, c'est elle qui régit tout depuis toujours, que c'est elle, la curiosité, qui a depuis le début le pouvoir, en secret, qu'elle tient les rênes des actions de Benoit, qu'elle agit en sous-main, que tout le monde autour de la table ne sert à rien, que toutes les décisions ne viennent que d'elle, qu'elle cache son jeu depuis le début, à faire semblant de nettoyer la salle des émotions, alors que le soir, dans son coin, elle dirige d'une main de fer la matrice comportementale.

La curiosité, d'un hochement de tête de meneuse d'hommes éclairée, acquiesce.
- C'est vrai, je suis curieux, dit Benoit.
Monsieur Toutouyoutou, satisfait, cligne de l’œil.
Une trappe s’ouvre sous les pieds de Benoit.
Il tombe.
Ses mains s’aggrippent à des surfaces lisses.
Puis à des surfaces rugueuses.
Puis boueuses.
Puis noueuses.
Il tombe toujours.
Ses sentiments se sont débarrassés de la curiosité, et une période de troubles, de motions de censure et de guerres civiles s’ensuit.
Quand Benoit heurte le sol, il n’a plus aucun sentiment.
Il passe un an dans cette cave.
Alors que son estomac a atteint la taille d’un chromosome, que sa barbe a remplacé ses muscles zygomatiques, il entend gratter à la porte de son postérieur. Jimmy, tout terreux, lui lèche les os, puis le prend sur son dos. Galorampant dans le tunnel qu’il a foré en tant de jours, Jimmy mène son maître vers la sortie. Débouchant sous un buisson de la cour centrale, Benoit retrouve l’air libre.
Il a fini son boulot.
Tournant le dos à l’Ouest, il sait maintenant qu’en lui, l’imagination a remplacé la curiosité.

I like it... Malheuresement je l'ai lu un peu trop allegro !

Tu devrais lire un peu de Kafka, oui la symétrie c'est mal, mais j'ai pas le sens du rythme alors les tympans euh les tempos je les entrave pas. Une petite promenade mais que de violence, trop de fenêtre, trop de personnage, trop de chute. Mais sinon j'aime bien les mots!

ça reste de la nouvelle expérimentale, et comme chez les zicos, des fois l'expérimental c'est pas très audible, ou même pas très bien, mais l'overdose de délires était volontaire...

Passer de "je prends des images" (la curiosité), à "je fabrique des images" (l'imagination), ça provoque des bouleversements, et endélirer tout ça, ça donne cette ch'tite nouvelle...

lire des mots en francais me fait du bien mon ced, merci donc.
je t'aime experimental.